Le sort de nos très chers libérateurs canadiens a été fixé à Québec « la Citadelle » le 14 août 1943 pendant la conférence Quadrant décidant des zones d’assaut de l’opération de débarquement recevant le nom de code Overlord. Un secret qu’il faudra précieusement conserver jusqu’au 6 juin 1944.
Overlord donnera immédiatement naissance à tout une suite d’autre opérations. Neptune par exemple, pour ce qui concerne la mise à terre des hommes et du matériel ; enfoncer le mur de l’Atlantique, prendre pied, chasser l’occupant pour arriver sur la ligne Yem le premier objectif fixé à la sortie des plages Juno, secteur assigné aux canadiens.
Qui de nous témoins oculaires, pour l’avoir vécu, n’aura pas vu ces solides gaillards du Régiment de la Chaudière issus du coeur de la province du Québec au Canada, dans le secteur de Lévis “vallée de la rivière Chaudière” armés jusqu’aux dents, franchissant à pied, mouillés jusqu’au ventre, tous les obstacles dressés sur leur chemin pour nous rendre la liberté.
Dans leur progression jusque sur l’objectif pour le soir du D.Day fixé sur la ligne Elm depuis Creully-Pierrepont-Fontaine-Henry-Anguerny-Anisy, ils devront, car n’étant pas engagés dans la nettoyage de la plage, débarrasser préalablement l’ennemi du sud de Bernières sur mer, Bény sur mer Basly et s’installer à la Mare d’Anguerny en attente d’une contre- attaque possible de l’occupant qui ne manquera pas de se produire dans la nuit du 6 au 7 juin.
D’Alma à Arabia “de Bernières à Anguerny” en passant par Alepo et Egypt “Bény-sur-mer et Basly” d’autres noms de codes pour tromper l’ennemi à l’écoute des ondes radio, voici maintenant l’étude complète du parcours des éléments de la 8eme Brigade d’infanterie canadienne jusqu’à Anguerny et Anisy au soir du 6 juin.
Le nettoyage de la plage du secteur Nan White à Bernières-sur-mer est assigné aux Queen’s Own Rifles (Q.O.R.) qui mal orientés tombent sous un feu en enfilade de trois postes de mitrailleuses, un sol de sable fin infesté de mines et la digue purement et simplement ficelée de plusieurs rangées de barbelés interdisant toute progression. Dans l’assaut initial, la digue franchie avec des échelles la compagnie A des Q.O.R. tombe sous le feu d’un 88 non prévu sur les plans fournis et se trouve réduite au tiers.
Après avoir enfoncé ce mur de l’Atlantique au prix de lourdes pertes au niveau de toutes les compagnies, il est parfaitement compréhensible de constater un énorme temps perdu ne permettant pas un regroupement normal en vue de l’objectif Elm à Anisy.
A bord du HMS Prince David, le Régiment de la Chaudière, bataillon de réserve de la 8ème brigade. Parmi eux, le Major Hugues LAPOINTE commandant la compagnie A des Chaudières, descend dans les cales pour réveiller ses hommes et donne ses ordres pour les mettre à bord de la 529ème flottille. Arrivés sur le pont, une surprise générale s’empare de tous en raison de l’ampleur de l’opération militaire qui se déploie devant eux. Un véritable ouragan de feu s’abat sur Bernières dissimulé par un écran de fumée. Tout fonctionne avec la régularité d’une horloge. L’artillerie Canadienne ouvre le feu. Bernières est en vue. Hugues Lapointe : “Je sors mes cartes encore une fois pour expliquer une phase de l’opération. Le désir de vaincre nous monte à la gorge, le mal de mer disparaît.”
Une fois maître des points d’appuis ennemis sur la plage, le Queen’s Own Rifles a bifurqué vers la gauche, et “mon régiment, bien que cela ne soit pas dans son objectif, a aidé à capturer certains postes de mitrailleuses avant de poursuivre le nettoyage de notre portion vers le sud de Bernières” écrit le Major W Huard, aumônier du régiment de la Chaudière.
L’organisation est telle par brigade, que chaque bataillon d’infanterie reçoit l’appui d’une unité de blindés. Ainsi par exemple le régiment de la Chaudière se trouve doté de l’escadron A du Fort Garry Horse commandant Harry Blanschard; l’escadron B du Major J.A. MEINDL accompagne le Q.O.R.
« Sous un déluge d’artillerie et de mortiers ennemis, le déferlement de notre vague d’assaut nous déverse pour une heure environ au creux de la digue en attendant que le Q.O.R. consolide ses positions dans Bernières » relate le Lieutenant Franck ANSELL de la compagnie C des Chaudières. Un bureau de presse s’installe à l’hôtel de la plage où prend place notamment Marcel Ouimet et son compagnon avec machines à écrire et postes émetteurs pour annoncer la nouvelle du débarquement au monde entier.
Objectif “sortir de Bernières”
Dans ces moments les plus difficiles, la joie s’empare des Berniérais au contact des premiers Canadiens français et, on peut dire que le Calvados devient le meilleur ambassadeur des Normands avec accolades en tous genres.
“Nous entrons dans Bernières” raconte le Lieutenant Rushfort du Fort Garry, “nous nous dirigeons vers l’église pour nous regrouper dans un verger entièrement miné en direction de Bény; par suite d’embouteillages monstres de tout le matériel en provenance de la plage la circulation est extrêmement rendue difficile.”
Brutalement, sur la droite, sortie Bernières direction Bény, un 88 allemand allume une pièce d’artillerie du 14tm RCA, en éventre une seconde puis une troisième. Cinq gars viennent d’y laisser leur peau dont le Lieutenant LAPIERRE des Chaudières et une partie de son peloton. Plus loin dans les herbages, entre la route de Bernières et de Courseulles un canon tirait toujours. Attaqué par le Lieutenant MOISAN des Chaudières, couvert par les blindés, les allemands devront rapidement rendre les armes.
Objectif ALEPO “Bény”
Toute résistance du cordon défensif côtier définitivement vaincue c’est à la sortie de Bernières que s’effectue le déploiement des forces La compagnie C du Major G. SEVIGNY des Chaudières est chargée de débarrasser Bény avec les pelotons du Lt Franck ANSELL et Lt Louis DUPONT. Les opérations de nettoyage s’engagent vers 14h30; pendant ce temps sur la droite sur les hauteurs de la Mue à Moulineaux, le Major L’Espérance, des Chaudières, capture une batterie de quatre canons avec l’aide de la troupe N° 1 du Fort Garry Horse doté de 5 chars ayant à sa tête le Sergent Murray: 54 prisonniers sont conduits à travers Bény en direction de la plage.
Objectif EGYPT “Basly”
La compagnie D du major Gustave Chaudières s’organise au départ du lieu dit Tombettes accompagnée d’une troupe de l’escadron A du Fort Garry Horse ne s’occupant pas des points isolés de résistance et continue pour arriver près des haies au carrefour du chemin Bény-Douvres. Le lieutenant Curtins débouche avec cinq chars dans les environs du calvaire de Basly, trouve un camion allemand abandonné dans la cour d’une ferme et consolide sa position en attendant la montée du Major G SEVIGNY occupé à débarrasser Bény. La prise de Basly comme celle de tout autre village du jour J était prévue depuis longtemps par les forces alliées. Le soldat Antonio Desrochers des Chaudières est le premier à atteindre la boulangerie.
Objectif ARABIA “La mare d’Anguerny”
Le nettoyage des villages de Bény et Basly étant terminés, le Queen’s Own Rifles qui devait accomplir la capture d’Anguerny n’étant pas en vue, le Brigadier Blackader ordonna l’organisation d’un groupe de combat dont la direction échut au Capitaine Michel GAUVIN. Il comprenait le peloton N° 14 du Lieutenant W FOY de la compagnie C. Il s’installa dans le secteur de l’église d’Anguerny. Cette force motorisée gagnant d’un trait la Mare, neutralisa quatre véhicules et fit une vingtaine de prisonniers, dont plusieurs jeunes Allemands opérant des postes de défenses anti-aériens (DCA). Le positionnement des Chaudières va s’effectuer ainsi qu’il l’est indiqué dans un croquis officiel joint la A et la C à gauche de la route sens Basly-Anguerny et la B et la D à droite. Peu après, à la tête des deux pelotons qui lui restaient, le Major SEVIGNY traversa la Mare et prit position à la jonction de la route menant à Colomby sur Thaon objectif du lendemain.
La bataille d’Anguerny
Il était environ 22 heures lorsque les hommes de la Chaudière commencèrent à creuser leurs tranchées pour la nuit. Mais aux environs de 2 heures du matin, les positions à peine consolidées, une colonne ennemie motorisée équipée principalement de pièces d’artilleries en provenance de Cairon traversa la vallée de la Mue et Colomby sur Thaon puis se jeta en plein dans les lignes de la compagnie A. Une mêlée inimaginable que décrivit quelques jours plus tard le Major Lapointe :
« Mes gars étaient épuisés, mais ils combattirent comme des lions. La ligne était floue et il y avait autant d’Allemands dans nos lignes qu’en avant de nous. Il y eut des échanges de grenades à des distances d’une quinzaine de pieds, et des prisonniers faits de part et d’autre. Outre des meules de foin incendiées, c’était comme en plein jour, quatre autochenilles étaient en flammes et les munitions qu’elles transportaient explosaient au-dessus de nos têtes. Lorsque la fumée du combat se dissipa vers 3 heures, dix sept véhicules allemands, dont huit autochenilles étaient hors d’action; notre section de canons antichars les avait détruits. »
Tous ces engagements principaux eurent lieu dans le secteur de «la patte d’oie» et connu aussi des canadiens sous le nom de «à la fourche» de la Mare d’Anguerny. Il nous est louable maintenant d’emprunter quelques lignes de l’historique du régiment de la Chaudière tirant les conclusions de cette terrible bataille d’Anguerny. Il y eut de nombreux faits d’armes cette nuit-là; mais comme beaucoup d’autres, plusieurs échappèrent aux observateurs et y demeureront malheureusement à jamais inconnus. Parmi les exploits dont on conserve le souvenir et qui méritent d’être rappelés, figure certainement l’assaut que subit la position défendue par le Lieutenant Ladas et son peloton. Lorsque les Allemands se ruèrent sur eux pour les faires prisonniers et capturer leurs canons antichars, le Lieutenant Ladas, grenades en mains, n’hésita pas un instant : il sortit de sa tranchée en entraînant ses hommes à sa suite au cri de « A l’assaut les boys! ». Au même instant, il s’écroulait sous une rafale de balles. Le feu ennemi eut rapidement raison des servants de la première pièce et mis bientôt hors de combat ceux qui desservaient la seconde, à l’exception toutefois du soldat L.V. Roy Demeuré seul, ce dernier continua à tirer. Le lendemain matin, on le trouva mort sur la culasse de son canon. Le soldat Roy restera pendant toute la campagne le symbole de la fidélité au devoir, du courage et du sacrifice. Dans cette mêlée invraisemblable, pourtant cernés en bien des endroits, les soldats A Longuépé et J. Duguay réussirent à se dégager avec une grenade pour rejoindre le régiment; le caporal B Vennes et les soidats E. Doucer, G.Nault, J Roy, A. Labrasseur et HM Turcot réussirent également à s’échapper.
Cette attaque de nuit fut coûteuse pour la compagnie A car elle perdit la quasi totalité du peloton N°9 y compris le commandant en second de la compagnie P Vallée ; en revanche, cette nuit là un coup d’arrêt certain fut infligé à une importante infiltration de l’ennemi en territoire libéré. Les pertes importantes subies par les Allemands soit, trente morts et blessés et dix-sept blindés mis hors d’usage, contribuèrent à imposer le respect à l’égard du Régiment de la Chaudière.
Ainsi qu’il est écrit dans l’histoire officielle de l’armée canadienne, pour ces opérations de fin de journée du 6 juin, les Queen’s Own Rifles, très tard dans la soirée, passant à travers les positions tenues par la Chaudière étaient chargés de se regrouper sur les arrières au nord-est d’Anguerny pour s’emparer de la localité d’Anisy. Progressant vers l’intérieur l’autre unité de la brigade, le North Shore Régiment s’emparait de la station radar de Douvres.
Sur demande du Brigadier Blackader, le Fort Garry Horse occupe une position de boucle et patrouille sur le parcours Bény, Fontaine-Henry, Thaon, Colomby-sur-Thaon et Anguerny avec instruction de signaler sa position à chaque instant par radio et de ne pas engager de combat.
Voici l’ampleur et l’intensité de ces événements rassemblés sans prétendre à un historique complet des heures dramatiques de la libération d’Anguerny. Tout ce qui précède a pour but de raviver le souvenir de ceux qui les ont vécues et de les dévoiler à ceux, nouveaux arrivants, ou trop jeunes pour les avoir connues. Espérant avoir atteint cet objectif, rendons en même temps un chaleureux hommage aux valeureux Canadiens venus de si loin pour se battre et trop souvent mourir sur notre terre en face de l’ennemi d’alors qui croyait aussi faire son devoir. Invitons nos jeunes générations à construire l’Europe la main dans la main tout en respectant le message laissé par nos libérateurs “Plus jamais cela”.
Auteur : GUY CHRETIEN
Membre honoraire de l’amicale du Régiment de la Chaudière
Membre honoraire du Régiment de blindés Fort Garry Horse
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur
Ensemble des droits : Guy Chrétien
6 juin 1944 : les Canadiens contre les blindés allemands de Colomby-sur-Thaon
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Bill Ross
Le Jour J, William Ross débarque à Bernières-sur-Mer avec le peloton 14 de la Compagnie « C » des Queen’s Own Rifles of Canada. Il avance ensuite vers Basly, Anguerny et Anisy. Lors des 27 jours qui suivent, le peloton de William Ross est en première ligne, effectuant des patrouilles de contact, de combat, de nuit et participant aux attaques du régiment. Le peloton participe activement à la prise de Brouay, du Mesnil-Patry, de Norrey-en-Bessin, de Bretteville-l’Orgueilleuse, passe une nuit dans le secteur de Gold pour aider des régiments des British Guards à repousser une contre-attaque, puis prend Cairon (en deuxième ligne), Marcelet, et finalement Carpiquet et son aéroport.
Bill Ross raconte son jour J
Notre embarcation a levé l’ancre vers vingt heures le 5 juin 1944. Je suis monté sur le pont cette nuit-là, pour observer l’armada alliée et ses 6 400 navires faisant route sur les voies maritimes dégagées par les dragueurs de mines dispersées par les Allemands.
Lorsque la compagnie C à laquelle j’appartiens atteint la plage codée “Nan” (Juno Beach) face à Bernières-sur-Mer, dans le cadre de la deuxième vague d’assaut, notre principale préoccupation était de repérer les tireurs de précision allemands. Je fus le dernier homme à s’extraire du chaland de débarquement. Alors que je courais sur la plage, l’un de mes soldats appartenant à la section de mitrailleuses me stoppa dans ma course : quelques pas de plus et je marchais sur une mine antipersonnel. Puis nous avons atteint le mur antichar et nous en avons profité pour reprendre notre souffle. Un caporal nous a ensuite ordonné d’aller vers la droite et faire ce pour quoi nous nous étions tant entraînés. Nous avons atteint le centre du village puis notre objectif du jour : un vergé à l’extrémité de Bernières-sur-Mer, où nous avons pris nos positions pour surveiller les environs à travers les herbes hautes.
Pendant ce temps, nous avons attendu l’arrivée des hommes du Régiment de la Chaudière qui étaient accompagnés de chars. Trois d’entre eux se sont approchés le long du mur du château de Bernières-sur-Mer. Un canon allemand de 88 mm était installé à environ 1 500 mètres face à nous et se mit à ouvrir le feu, touchant deux des blindés. Les équipages, blessés, hurlaient et furent brûlés vifs. Je n’oublierai jamais ce moment.